Nous tenons à remercier Eric Chahi pour l’envoi de précieuses images.
Eric Chahi, développeur français, a réalisé ses premiers jeux sur Oric 1. Avec l’arrivée d’ordinateurs plus complexes (Atari, Amiga, etc.), dépassé, il se tourne vers le graphisme de jeux vidéos. Embauché alors chez Delphine Software, il travaille avec Paul Cuisset sur le pointer et cliquer Les Voyageurs du temps – La Menace (1989), en proposant des graphismes poussés et une ambiance très particulière sur chaque environnement.
Fort de cette expérience, Eric Chahi se lance dans la conception d’un jeu qui l’inscrira dans la mémoire des joueurs : Another World.
Éric Chahi s’impose autant par son talent de développeur que par sa démarche réflexive. Il co-publie en 2007, avec Nicolas Bredèche, l’essai Le Jeu Vidéo, une oeuvre systémique, où il interroge la possibilité d’une intéractivité et la relation concepteur-joueur via un système. La sortie en 2011 de From Dust est une application des concepts de persistance (le jeu garde en mémoire toutes les actions du joueurs afin de proposer à chaque fois une expérience unique) et d’attracteurs (le joueur ne peux pas se détacher de son objectif).
L’écriture cinématographique (1/2)
Pour beaucoup de joueurs, Eric Chahi est considéré comme un auteur depuis un jeu qu’il a développé seul : Another World. Sorti en 1991 sur Amiga et ST, Chahi insère dans le développement du jeu ses passions pour le cinéma (Star Wars) et la science fiction (Richard Corben). Dans sa chambre, et avec peu de moyens, il va mettre en place un dispositif simple : la rotoscopie. Déjà utilisé par Jordan Mechner pour Karateka (1984) et Prince of Persia (1989), Eric Chahi se filme dans les différents mouvements de son protagoniste puis retranscrit les plans tournés, image par image via un ordinateur. Utilisées dans d’impressionnantes cinématiques, ces images ponctuent les séquences de jeu.
« J’avais envie de communiquer une expérience cinématographique selon deux directions. Primo la dynamique de l’image, c’est-à-dire le montage, l’enchaînement des plans et secundo la mise en scène, la structure dramatique. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est ce second point qui selon moi caractérise le plus Another World. Une tension dramatique existe dans le jeu sans forcément s’appuyer sur une dynamique de l’image même si cette dernière vient ponctuellement et efficacement renforcer la mise en scène. Un jeu privilégiant l’immersion où aucun élément extérieur à l’univers ne vient s’afficher en surimpression sur l’image (score, jauge d’énergie, etc…). » (Eric Chahi – www.anotherworld.fr)
L’écriture cinématographique (2/2)
© 1992-1998 AMAZING STUDIO
Suite à Another World, Eric Chahi réalise, avec une petite équipe issue de Delphine Software, Heart of Darkness. Là encore il interroge la place du joueur. Est-il spectateur ou acteur des images vidéoludiques ? Car si Chahi insiste beaucoup sur les notions d’intéractions, le jeu fera d’abord parler pour ses cinématiques. Cela devient même un argument de vente sur la pochette du jeu où se trouvent mis en avant « plus de 30 minutes de séquences cinéma », une « musique de Bruce Broughtion, interprétée par un orchestre symphonique », fait inédit à l’époque, et un jeu tout en 16/9.
En 2007 pour Chronic’Art, Eric Chahi développe : « Si on enlève la séquence d’introduction [à Another World], je trouve qu’il garde son essence cinématographique. […] Dans Heart of Darkness, justement, les séquences de type cinématographiques étaient fluides mais trop longues et nuisaient à l’interactivité du jeu. Je ne suis pas un fan des cinématiques dans les jeux je trouve que c’est chercher à imiter le cinéma au détriment de l’interaction qui définit vraiment le jeu vidéo. »
Heart of Darkness sort quelques mois après Oddworld : l’Odyssée d’Abe avec qui il partage un goût pour la plateforme et le die&retry, principes délaissés à une époque où la 3D se trouve être un des vecteurs essentiels dans la marche vers l’industrialisation du secteur vidéoludique. Pourtant aujourd’hui, Heart of Darkness reste un jeu qui a très bien vieilli, à la tension intacte véhiculée à chaque instants par les décors.
© 1992-1998 AMAZING STUDIO
Sortir du mimétisme au cinéma
20 ans après Another World, en 2011, il publie From Dust. Et pour ce jeu, Eric Chahi précise que « ce sont les événements qui feront […] la narration ». Il n’est plus question de protagoniste, c’est le joueur qui agit directement sur les différents environnements. Dans la forme, il va se détacher de toute inspiration cinématographique pour s’interroger pleinement sur le langage du jeu vidéo.
En 2003, pour grospixels.com, Eric Chahi prédisait déjà : « Je pense que la tendance a l’ultra-réalisme (pas uniquement visuel) va encore s’accentuer. Quand les gens réaliseront que ce n’est pas une finalité alors la tendance s’inversera et d’autres directions seront découvertes, actuellement j’ai le sentiment d’être en plein moyen-âge-limite renaissance, si on doit faire un parallèle avec la peinture, époque ou la quête du réalisme prédominait au détriment de l’expression pure. » Déclaration prophétique à l’heure où certains jeux (Botanicula, …) se débarrassent de tout texte, tutoriel ou introduction pour que tout passe par le gameplay.
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